M. Fontius u.a. (Hrsg.): Franzosen in Berlin

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Titel
Franzosen in Berlin. Uber Religion und Aufklärung in Preussen


Herausgeber
Fontius, Martin; Häseler, Jens
Reihe
Studien zum Nachlass des Akademisekretärs Samuel Formey
Erschienen
Basel 2019: Schwabe Verlag
Anzahl Seiten
518 S.
von
André Bandelier

La correspondance de Jean Henri Samuel Formey est une des plus monumentales d’Allemagne : 17’100 lettres conservées. L’essentiel provient de correspondants ; seules 1’200 lettres du secrétaire de l’Académie prussienne sont disponibles. Les deux tiers des épistoliers vivent dans les limites de l’ancien Reich ; à peine 4% d’entre eux écrivent en allemand. C’est le reflet de la vigueur de la langue française hors de France au XVIIIe siècle et de la forte présence du Refuge huguenot à Berlin et dans le Brandebourg.

Ce fonds a fait l’objet de nombreuses éditions de texte et monographies (pour Neuchâtel : Des Suisses dans la République des Lettres. Un réseau savant au temps de Frédéric le Grand, Genève, Slatkine, 2007 ; Emer de Vattel à Jean Henri Samuel Formey, Paris, Honoré Champion, 2012). Il a été le thème principal du Forschungszentrum Europäische Aufklärung de Potsdam, qui livre aujourd’hui une synthèse de ses travaux. Franzosen in Berlin, apport important à la compréhension des Lumières européennes, intéresse aussi l’histoire suisse. L’ouvrage ne devrait pas échapper aux Neuchâtelois en particulier, liés alors aux souverains de Prusse. Ils ont trouvé à Berlin un terrain d’engagement apprécié. Berlin au XVIIIe siècle, nom latin, Berolinum, anagramme lumen orbi(s), allemand Licht der Welt, reste une étape dans les apprentissages d’Emer de Vattel ou de Jean-Pierre Chambrier d’Oleyres. Neuchâtel par ailleurs appartient aux réseaux de diffusion du livre de langue française hors de France.

Après l’introduction de Martin Fontius, Jens Häseler s’attache à l’apport des réfugiés à l’exercice de la religion et de l’Aufklärung en Prusse. Les Huguenots y ont trouvé une terre de tolérance et ont pu y développer une vie autonome aux plans juridique et ecclésiastique jusqu’au début du XIXe siècle. Une première génération de théologiens, dans le sillage de Bayle, ont participé aux inflexions données aux rapports entre religion et Lumières, à la recherche de la conciliation de la foi et de la raison, créant le portrait d’un « philosophe » distinct du « philosophe à la française ». Samuel Formey, journaliste et polygraphe, a été un bâtisseur de ponts par son rationalisme éclectique, à la frontière de la religion, de la politique et de la morale en un Etat où se côtoient luthériens, réformés et juifs. Et parmi les monarques, Frédéric II, souverain protestant et despote éclairé, et sa recherche de modèles français ont joué un rôle éminent par son Académie royale, renouvelée.

Christiane Berkvens-Stevelinck analyse les prédications des pasteurs de l’Eglise française de Berlin. Comment, sur trois générations, les sermons ont évolué, même si ceux-ci restent essentiellement moralistes ? Changement de ton, de thèmes, sous l’influence de besoins évolutifs et du piétisme de l’Eglise luthérienne. De plus, l’auteure produit une contribution relative aux libraires actifs à Berlin et les livres qu’ils proposent en français, originaux ou traduits. Partant de deux ouvrages de conseils aux lecteurs, de la plume de Formey, elle fournit un précieux témoignage sur le goût des lecteurs et sur les circuits du livre auxquels appartiennent les presses neuchâteloises.

La contribution centrale de Martin Fontius se concentre sur la position complexe de Samuel Formey. Le professeur de philosophie au Collège français, un inclassable ? Un écrivain prussien qui écrit en français dans un espace où le nom officiel d’Allemagne n’existe pas encore ? Plutôt un secrétaire perpétuel, huguenot de seconde génération vivant à Berlin, qui use de la langue de l’aristocratie et de la diplomatie européennes, au moment où autre part le latin des académies cède déjà à la pression des langues nationales. Diverses rencontres éclairent le débat. Par exemple, celle de Formey prudent et de Frédéric II ironique, ou la rencontre protocolaire du représentant de la théologie raisonnée et du sceptique de Sans-Souci. Celle des célébrités européennes, Maupertuis et Voltaire, réunis par le newtonianisme en France, rivaux à la cour du Grand Frédéric, mais aussi celle de savants suisses, Euler ou Merian. Le secrétaire perpétuel Formey, adepte de Leibniz et de Wolff, est contraint de ménager les favoris d’un roi qui a francisé l’Académie prussienne. Il est obligé d’opter dans la guerre culturelle dite de l’Akakia.

Martin Fontius examine ensuite la position de Formey, resté l’ennemi constant des libres-penseurs. Il donne aussi une fine analyse de l’évolution des concepts du temps, « république des lettres et des sciences » versus « république des philosophes », « esprit philosophique » versus « étude de la philosophie », encore équivalente de « science ». Il complète son étude par l’apport du secrétaire perpétuel à la théologie et à la philosophie allemandes, singulièrement à l’oeuvre de Christian Wolff, dont il est le traducteur et le propagateur, plus généralement à sa contribution à l’Aufklärung dans le protestantisme. La « piété éclairée » et une philosophie dans la tradition de la "éodicée de Leibniz, des étapes de la pensée germanique avant Kant, alors que la manière libertine de penser « à la française » fait reculer la manière « scientifique » de Wolff. Un Formey plus âgé se fait l’observateur d’une religiosité vivante portée sur l’éthique davantage que sur la dogmatique, également témoin du divorce entre « savoir » et « esprit », et de la séparation progressive des « belles-lettres » et de la « science ».

Rolf Geissler ne se contente pas de rappeler la participation de Formey à l’encyclopédisme. A travers les divers projets et réalisations du secrétaire d’académie, Dictionnaire instructif ou Encyclopédie réduite, il brosse un tableau plus général de l’encyclopédisme européen. L’encyclopédisme est né au confluent de la classification des domaines et du listage alphabétique. L’Encyclopédie parisienne, apport essentiel aux Lumières et plus grande entreprise éditoriale en France, n’est pas seule. Outre ses publications et suppléments sous différents formats, elle a subi la concurrence de ceux qui cherchaient à en réduire le volume et le prix, de ceux qui voulaient en atténuer l’idéologie matérialiste, aller vers davantage de vulgarisation ou la réduire à des fins pédagogiques, jusqu’à ce que l’autonomie progressive des disciplines conduise aux dictionnaires de spécialités. Dans cette évolution, on retiendra en particulier l’entreprise à coloration protestante de l’Encyclopédie d’Yverdon, à laquelle Formey participa activement.

Les deux dernières contributions sont dues encore à Martin Fontius. Formey, professeur au Collège français de Berlin, reçoit des pensionnaires et est à la tête d’un véritable bureau d’embauche pour gouvernantes et précepteurs, des Neuchâtelois également. Il est l’auteur d’abrégés qui connaissent longtemps le succès en Europe du Nord. Le secrétaire perpétuel a ferraillé contre l’Emile de Rousseau, à l’image de philosophes allemands choqués par la « Confession de foi du vicaire savoyard ». Son Abrégé de toutes les sciences aurait connu une édition neuchâteloise tardive en 1789, sous le titre d’Institution des enfants.

Enfin, Martin Fontius évoque les dernières années de la Colonie française. Il apporte les nuances nécessaires à la thèse trop simpliste qui associe la fin de la Colonie uniquement aux défaites prussiennes de 1806. Il insiste sur l’importance de l’édit de 1751 qui prolongea la situation de la Colonie comme Etat dans l’Etat et qui l’ouvrit à tous les étrangers émigrant en Prusse, par exemple aux membres suisses de l’Académie royale. Mais il démontre également que les signes d’une intégration progressive sont perceptibles dès les années 1780 : la déliquescence des petites communautés francophones en Brandebourg parallèle à celle des églises réformées allemandes, la germanisation des prénoms, les prises de fonctions qui impliquent l’usage de l’allemand, l’intérêt porté à la nouvelle philosophie allemande. La lecture de Franzosen in Berlin, qui comprend un index des personnes et une table des illustrations, est facilitée pour le francophone peu familiarisé avec l’expression des concepts philosophiques et historiques en allemand, par le maintien en français des citations originales.

Zitierweise:
Bandelier, André: Rezension zu: Fontius, Martin; Häseler, Jens HÄSELER (éds): Franzosen in Berlin. Uber Religion und Aufklärung in Preussen, Berlin/Bâle, 2019. Zuerst erschienen in: Revue historique neuchâteloise, Vol. 1-2, 2020, pages 101-103.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique neuchâteloise, Vol. 1-2, 2020, pages 101-103.

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